Robert Momeux
(Revue A l'Index - extrait)
Michel Héroult
L’âge vient. Il faudra bien s’y faire. Tout se délitera autour de moi ; je veux parler de l’univers qui m’est connu. Mais quel est donc cet auteur qui a écrit que vieillir c’est se retrouver de plus en plus seul, abandonné par les êtres aimés partis les premiers ? Vieillir, c’est ne plus reconnaître personne.
Robert Momeux, à sa manière, avait résolu le problème en s’exilant dans les terres lointaines de la Bourgogne et en se coupant du monde. Il souffrait de cette solitude. Il s’ennuyait, mais il ne voulait à aucun prix se rapprocher de la ville et de ses amis.
Un jour, il me confia au téléphone : « Quelquefois je reste quatre à cinq jours sans dire une parole à un être humain. J’aperçois des voisins, au loin et je leur fais un signe de la main. J’essaie de survivre à mes chats pour qu’ils ne se retrouvent pas seuls lorsque je disparaîtrai. ».
Robert Momeux est mort. Jean Chatard me l’a appris le jour même.
Dans les derniers temps, il ne mangeait presque plus et pesait à peine plus de 30 kg.
Nombreux étaient les amis qui s’inquiétaient de sa santé, mais il n’aimait guère répondre au téléphone. Il est donc mort seul, mais baignant, sans le savoir vraiment, dans la pensées de ses amis qu’il avait repoussés au loin.
Bien sûr, les souvenirs reviennent : une discussion au bord de la Charente lors des rencontres de la Tour de Feu à Jarnac ; les réunions du Puits de l’Ermite, dont il fut un fondateur avec Jean Chatard, Guy Malouvier, Jean-Pierre Lesieur et moi-même ; le spectacle donné à la Vieille Grille ; un repas mémorable chez Jean Germain où nous fîmes honneur à une bouteille de Cognac, profitant que le maître des lieux faisait sa sieste.
Bien sûr, il y a ainsi quelques petites îles dérisoires qui surnagent sur les eaux indistinctes du passé. Bien sûr, la vie passe par là et emporte à peu près tout.
Robert Momeux nous laisse une belle somme de poèmes, dont « À tout jamais » que je viens de publier aux Editions du Soleil natal et qui sera son dernier livre.
Il l’a eu en main un mois avant sa mort et m’a murmuré au téléphone (car il ne pouvait presque plus parler) : « Je suis très content ». Pour l’heure, on n’a pas retrouvé les vingt-cinq exemplaires que je lui ai envoyés et je vais me substituer à lui pour assurer son service de presse personnel.
On a dit, ici ou là, que la poésie de Robert était à ranger dans la «poésie du quotidien », celle mise en avant par la revue Décharge et les Editions du Dé bleu. D’abord, le concept de « poésie du quotidien » est un concept bien flou. Ensuite la poésie de Robert, même si elle partait de notations sur le quotidien, ou pour le dire autrement sur « la vie comme elle va », débouchait presque toujours sur des valeurs universelles de fraternité et même de spiritualité. Robert Momeux ne se payait pas de mots, mais procédait à l’élargissement des mots. On sentait qu’il nous disait quelque chose d’indéfinissable qui, d’une manière ou d’une autre, dépassait largement les choses et les situations décrites.
Plusieurs tendances, actuellement, se font jour : « la poésie du quotidien », « la poésie émotiviste » marquée par la parution récente d’une Anthologie publiée par Christophe Dauphin au Nouvel Athanor que dirige Jean-Luc Maxence, « la poésie engagée » qu’il faut chercher du côté d’Action poétique et la « poésie néo-classique » dont les revues Le Coin de Table de Jacques Charpentreau ou Art et Poésie se font les gardiennes.
L’introduction massive du vers libre a largement ouvert les portes du subconscient. Bien souvent, la poésie dit autre chose que ce qu’elle a l’air de vouloir dire. C’est le cas pour la poésie de Robert Momeux. Les notations peuvent être brèves, concrètes, sans refuser le lyrisme qui surgit tout à coup. Sans refuser ces fenêtres qui parfois, s’ouvrent sur le rêve.
En règle générale, la poésie contemporaine œuvre à hauteur d’homme. Elle témoigne de l’homme et de ses destins difficiles. Certains le font en haut d’une tour ; d’autres au fond d’une cave mais, toujours, c’est de l’homme dont il s’agit. En tout cas bien plus de l’homme que des dieux.
André Laude n’est plus. Robert Momeux n’est plus. Et nous restons là sous le ciel à contempler quelque point invisible, alors que monte, de la terre où nous survivons, un chant qui nous tient en éveil.
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Certaines revues appuient cette recherche vers le bas ou vers le haut. Elles offrent une chance dans leur diversité : Verso d’Alain Wexler, Diérèse de Daniel Martinez, Comme en poésie de Jean-Pierre Lesieur, Les Hommes sans épaules de Christophe Dauphin et Les Cahiers du Sens de Jean-Luc Maxence.
Il y a quelques années, le Marché de la poésie, Place Saint-Sulpice, à Paris, était en ébullition. On venait de retrouver André Laude, sans vie, dans une chambre perdue quelque part dans la capitale. Il était mort seul parmi tous. Pleuré de tous. Ses amis d’Albatros étaient en deuil.
Un poète meurt : un soleil s’éteint. Plus de levers et plus de couchers, avec ces nuages fantastiques qui prennent possession du ciel. Plus de voix dans le vent. Tout a été dit par celui-là qui n’est plus. Le reste appartiendra au discours, à l’analyse, à l’impuissance à saisir ce qui fut force de vie et qui débouche tout à coup sur la mort.
André Laude n’est plus. Robert Momeux n’est plus. Et nous restons là sous le ciel à contempler quelque point invisible, alors que monte, de la terre où nous survivons, un chant qui nous tient en éveil.
Michel Héroult